LA CHARTE DE LORRIS
Situation confuse écriraient les chroniqueurs actuels pour retracer la position politique des premiers Capétiens; ce qui ressort en tous les cas, c'est que le Roi n'était non seulement pas le maître absolu dans son royaume, mais encore qu'il avait bien des difficultés à régner sur son propre domaine.
La France, en effet, était divisée en Comtés ou Duchés importants et le Domaine Royal ne comprenait qu'une mince bande de territoire correspondant environ à l'Ile de France.
Dans ce domaine figurait le Gâtinais qui avait été acquis grâce à une astucieuse médiation de Philippe 1er en 1066 lors d'une guerre entre les deux frères Foulques Rechum et Geoffroy le Barbu et, dans ce Gâtinais "version d'époque" se trouvait le village de Lorris, altération de Lauriacum, Loriacum, Lorriz.
Se rendre de Paris à Orléans sans encombres était l'ambition du Roi de France au début du XIIè siècle ; sur les routes royales en effet, les châtelains dévalisaient les marchands et les pèlerins, et les Seigneurs suzerains ou vassaux se livraient à d'incessantes luttes au cours desquelles les vilains n'étaient point épargnés.
Aux ravages de la guerre s'ajoutait un ('système fiscal" déjà mauvais qui regorgeait d'impôts de toutes natures: directs, matériels, voire physiques, tombant drus et sans mesure sur les épaules des contribuables, Premier percepteur, le Seigneur arrivait en tête, suivi du sénéchal, puis du prévôt et enfin des sergents royaux qui saisissaient hommes et bêtes, et avaient (écrit M. Prou) amené à rien le Domaine de Beaune-la-Rolande, naturellement fertile en vin et en froment.
Les paysans ne pouvaient plus suffire à payer les impositions dont on les chargeait de toutes parts et, quoique patients et résignés, certains se révoltèrent; ceux de La Cour-Marigny marchèrent les armes à la main à la rencontre du petit Seigneur de Châtillon-sur-Loing, ceux de Viry-Châtillon revendiquèrent contre le prévôt et les Chanoines de Notre-Dame de Paris, réclamèrent notamment... le droit de choisir librement leurs épousées.
Agriculture et commerce dépérissaient, les populations commençaient, nous l'avons vu, à se révolter, elles abandonnaient la campagne, les terres restaient en friche, les marchands ne circulaient plus, les produits agricoles augmentaient , l'avenir du pays était fort compromis.
Devant cette situation désastreuse, Louis VI le Gros, qui venait d'être couronné à la Cathédrale Sainte-Croix d'Orléans, vit aussitôt le danger qu'encourait son autorité et tint à s'attirer les sympathies du menu peuple par une générosité bien calculée.
Face au régime féodal dont il était issu, il lui fallait se soumettre ou être mangé par lui, Louis VI choisit la première solution qui devait marquer le début de la période d'activité de la Monarchie Capétienne. Son père, Philippe Ier "que le Seigneur de Montlhéry empêchait de dormir" lui avait maintes fois indiqué le donjon comme le premier obstacle à renverser. Louis VI entreprit donc des opérations de Police militaire destinées à nettoyer le pays : écrasant le Seigneur du Puiset "rapace comme un loup", s'emparant du château de Meung-sur-Loire, capturant le donjon de Saint-Brisson, en s'alliant parfois au cours de ces "commandos" au mouvement communal déjà existant. Mais si le Roi favorisait l'établissement de communes chez les Seigneurs de son royaume, s'il combattait les brigands féodaux avec l'aide des milices, il conservait le souci de garder l'autorité entre ses mains, ne voulant pas s'exposer à créer une féodalité bourgeoise, comme en Flandre, en Allemagne ou en Italie où les villes libres et les Républiques ont pullulé. C'est donc en partie pour mettre fin aux abus de pouvoir, mais également pour affaiblir un régime féodal trop envahissant et pour augmenter la source de ses revenus, que LouisVl octroya les Chartes de Coutumes. les habitants de Lorris l'obtinrent de Louis VI, mais seul subsiste le texte de 1155 dont le diplôme de Philippe-Auguste est la reproduction intégrale. Encore ne convient-il pas de penser que les habitants de Lorris avaient en mains aux XIè et XIIè siècles la gestion des Affaires Municipales; toute l'administration était entre les mains du prévôt, mais ce dernier légiférait uniquement dans le cadre privilèges octroyés par le roi.
La Charte de Lorris comprenait 35 articles parmi lesquels on peut notamment relever :
Article ler: Quiconque aura une maison dans la paroisse de Lorris paiera seulement 6 deniers de cens pour sa maison et pour son arpent de terre s'il en a un ; et s'il acquiert cet arpent qu'il le tienne au cens de sa maison.
Article sept.' Les amendes de soixante sous sont réduites à cinq sous, les amendes de cinq sous à douze deniers et le Clain du prévôt à 4 deniers. (Le Clain du prévôt : ce n'était pas une amende proprement dite, c'était l'indemnité payée au prévôt par les parties qui en appelaient à son tribunal
Article quatorze: Si des hommes de Lorris ont donné follement des gages de duel, et qu'avec l'assentiment du prévôt ils se soient accordés avant de donner des cautions, chaque partie paiera 2 sous et 6 deniers, et si les cautions ont été constituées chacun paiera 7 sous et 6 deniers. Si le duel a lieu entre champions légalement constitués, les cautions du vaincu paieront 112 sous.
D'où le proverbe bien connu :
'C'est un proverbe et commun dis
Quoiqu'on ait juste demande
Qu'en la coutume de Lorris
Le battu paie l'amende,
Article vingt-cinq.' A Lorris, il n'y a pas d'obligation de sewice de guet.
Article vingt-neuf.' Les habitants de Lorris prennent le bois mort pour leur usage, excepté dans la partie de forêt réservée à la chasse.
Article trente-cinq.' Chaque fois qu'un prévôt sera changé à Lorris, il jurera, l'un après l'autre, qu'il gardera fermement toutes ces Coutumes, et de même pour les sergents chaque fois qu'ils seront changés,